Plateau technique
Première matière première

Un voyage imaginaire dans le monde mystérieux du dessous, du dedans… Les œuvres présentées retournent aux sources de la création, à la glaise, à la cire et à l’osier, à la forme organique et animale, pour se faire entendre et faire revivre la garenne et ses animaux cachés.

A la fois plasticienne et chanteuse, j’ai développé depuis quelques années une réflexion sur la représentation du corps, du geste vocal au mouvement corporel, de l’apparence à l’organique, de la posture à l’image offerte. Elle m’a amenée à élaborer une notion inédite : le « corps interne ». Corps organique, corps du dedans, le « corps interne » est avant tout une zone obscure, inconnue, grouillante, insaisissable et en mouvement.

Comment le représenter ? Comment rendre manifeste, visible, ce corps pulsionnel et invisible ? La voix peut-elle donner à voir ce qui ne se voit pas par les yeux ? Qu’en serait-il d’une « visibilité auditive » dans l’œuvre artistique ? Comment rendre tangible, matériel, un corps invisible ?

Pour ce plateau technique, j’ai choisi comme point de départ le lien structurel entre le corps organique et la construction de l’habitat animal, entre ma production artistique et l’action animale. C’est pour moi l’occasion de produire parallèlement un travail solitaire et silencieux et une action performative vocale bruyante, sur ce thème.

Le terrier, cet espace obscur et organique s’apparente au « corps interne ». La manifestation tangible, matérielle de cet espace physique non visible mais aussi symbolique, a pris la forme d’une installation imposante et sonore, « La Série du Terrier ». Celle-ci se compose de sculptures en osier et torchis, qui s’emboîtent pour ne former qu’un seul corps en perpétuelle évolution. Une installation avec des ronds-points, des galeries, des boyaux, des chambres, avec un bruit de fond, de grattage, qui vient témoigner de cette activité souterraine, invisible. Cette série, très lente dans sa fabrication, questionne le temps de la création et joue des problèmes spécifiques au travail sculptural, notamment le rapport entre le plein et le vide, dans un renversement : le creux devient volume, le trou n’est plus creusé mais façonné. Enfin, ce trou volumineux creuse illusoirement le sol en se reflétant dans le miroir sur lequel il est posé.

Le terrier, titre d’une nouvelle de Kafka, renvoie évidemment au monde intérieur du créateur, mais aussi à sa recherche obstinée et tenace, laborieuse, patiente, où la création est une descente minière. L’agitation du plasticien à fouiller, à fabriquer, à répéter des gestes, serait proche de l’activité souterraine de l’animal et de ses perpétuels allers-retours dans l’obscurité. Le terrier est aussi le creux imaginaire où l’on chute, comme Alice au pays des merveilles.

Sur les murs, des photographies silencieuses, théâtrales, d’où un lapin vous fixe, au-dessus de son double écorché, en cire d’abeille. Jeu d’opposition, de correspondance entre animaux vivants ou morts, réels ou en cire, entre vrais et faux fruits, entre matières animales organiques et matières à poils et à plumes… … Mais aussi des panneaux peints avec un mélange de cire et de pigments, sorte de variation musicale sur un même motif. Sanglantes et lumineuses, ces peintures répétitives sont elles aussi animales dans leurs motifs et matières.

Dans cet espace offert au jeu d’illusion, de reflets, de renvois, hanté par la présence animale, la voix pourrait dans une action performative, s’amuser des œuvres classiques aux références animales hautement symboliques, se jouer de la manière animale dont certains chanteurs s’expriment…

Silence et invisible contre mise en visibilité et expression bruyante du corps.