Les tableaux de Daviau peuvent s’apparenter à des champs ouverts, où peuvent germer des forêts de points, de traits et de taches en devenir, des tableaux conçus donc comme des champs germinateurs où les formes graphiques ne sont pas des corpuscules inertes, mais des objets animés d’une vie propre, vibrionnants, cherchant à fuir ou à suivre leurs semblables, s’orientant en suivant les flux de la surface comme les brindilles qui suivent le sens du fleuve. Le point - unité fondamentale - est toujours ici en passe de s’étirer pour devenir trait verticalement tendu, ou ligne jetée en diagonale, ou bien encore corde flexible et ascendante, ondulation, entrelacs ou nœud… Du point à la ligne, et de la ligne à la surface : l’élaboration du tableau chez Daviau semble toujours fondée ici sur une organisation plastique puisant dans les fondements de la première abstraction (Kandinsky - Klee - Mondrian…), qui est une source importante pour comprendre la recherche de l’artiste malgré l’apparence figurative des œuvres. Les objets graphiques de Daviau ne sont pas conçus comme des entités désincarnées, mais ils sont véritablement « joués » à la surface du tableau (ou plutôt joués dans l’espace du tableau), comme un musicien « joue » ses notes quand il les fait sortir de la partition pour les actualiser dans le temps et l’espace. Les objets graphiques et les objets sonores semblent d’ailleurs avoir en commun cette même présence physique qui peut justement susciter l’émotion : durée, hauteur, force, timbre, mais aussi une texture singulière donnée par « l’attaque » de l’instrument. Car, si les objets sonores sont bien le produit de l’instrument et du musicien qui en joue, les formes graphiques doivent être aussi comprises comme le résultat d’un geste, et précisément de l’attaque de la main à la surface du tableau (mettant en réalité en jeu le corps tout entier), geste conjugué au choix de l’outil et du médium, retenus judicieusement pour tel ou tel effet plastique. Volontiers « polyphonique » et expérimentateur, Daviau aime essayer dans son travail toute la variété des gestes, des outils et des médiums qu’il s’est choisis, pour en éprouver toutes les nuances et en étendre la gamme. Ainsi, dans son atelier, je relevai devant les tableaux de la série des Campos des taches d’aquarelles vaporeuses, des touches d’encre verticales déposées au pinceau, des pulvérisations de gouache littéralement « soufflées », des stries horizontales tracées au crayon de couleur, des traits de mine de plomb, des griffures de stylo à bille rouge, dégradées ensuite par des projections d’alcool à brûler, des sortes de X ou de croix de Saint-André dessinées avec des crayons de couleur, des biffures de gouache blanche… S’agglutinant les uns aux autres en cherchant des chemins sous-jacents, formant des taillis, des défilés, des jonchées, ou dispersés dans l’espace, les éléments graphiques n’acquièrent en fait leur pleine existence que par le jeu qu’ils entretiennent avec le blanc initial du fond, avec les intervalles, avec tous les espaces interstitiels qui sont partie prenants de la composition. Les espaces entre chaque événement graphique participent en effet de la « respiration » générale de l’œuvre, et c’est par la fréquence ou la dilatation de ces intervalles que s’exprime le rythme singulier de chaque tableau. Daviau parle d’ailleurs métaphoriquement de « dessin pulmonaire », désignant peut-être ainsi le souffle qui semble propulser les points et les lignes dans la surface, mais désignant aussi cette qualité de vide ou d’air, qui circule entre les traits et qui constitue le fond vital du tableau. Ainsi, pour l’artiste, ce fond premier - qui coïncide avec le support de papier blanc déployé à l’échelle monumentale du tableau – n’est pas un terrain de jeu atone et neutre, mais il constitue d’abord le milieu nourricier de l’origine et de l’émergence des formes.
Emmanuel Rivière